ACTA UNIVERSITATIS LODZIENSIS
Folia Litteraria Romanica 20(1) 2025

DOI: https://doi.org/10.18778/1505-9065.20.1.14

Autour de la terminologie de l’argotologie moderne : axiologie de la langue verte

Laurent Canal*

logo ORCID https://orcid.org/0000-0001-6015-4851
Université Masaryk
233716@mail.muni.cz

Alena Podhorná-Polická*

logo ORCID https://orcid.org/0000-0002-0360-1915
Université Masaryk
podhorna@phil.muni.cz

RÉSUMÉ

Cet article présente tout d’abord un bilan des études visant à établir la terminologie de la discipline à mi-chemin entre la lexicologie/graphie et la sociolinguistique, l’argotologie moderne, pour arriver à constater une carence dans les travaux récents quant à la notion de langue verte. Une hypothèse sur l’étymologie de ce syntagme, basée sur l’analyse de documents historiques numérisés qui constituent de nouvelles pistes à la portée des chercheurs y est présentée. Ensuite, une confrontation des définitions de cette locution dans les dictionnaires d’argot historiques, souvent fallacieuses, avec une analyse de son utilisation actuelle dans un corpus électronique apporte un constat de l’évolution notionnelle, conditionnée par des jugements à composante axiologique. Notre analyse montre, qu’à l’écrit, le terme langue verte qui a longtemps porté une connotation péjorative, permet aujourd’hui à la critique littéraire un emploi euphémique du terme argot.

MOTS-CLÉS – argotologie, terminologie, langue verte, étymologie

Terminology of Modern Slang: About the Axiology of the langue verte

SUMMARY

This article begins by reviewing studies aimed at establishing the terminology of modern slangology, a discipline halfway between lexicology/graphy and sociolinguistics, and concludes that there is a gap in recent work concerning the term langue verte (‘green language’). A hypothesis on the etymology of this expression is presented, based on the analysis of digitised historical documents, which provide new avenues for researchers to explore. A comparison of the definitions of this idiom in historical slang dictionaries, which are often misleading, with an analysis of its current use in an electronic corpus provides an observation on its notional evolution, conditioned by judgements with an axiological component. Our analysis shows that, in writing, the term langue verte, which for a long time carried a pejorative connotation, now offers literary critics an euphemistic use of the term argot.

KEYWORDS – Slang studies, terminology, langue verte, etymology

Introduction

Si l’on considère comme l’année de naissance de l’argotologie moderne la création du laboratoire CARGO (Centre d’Argotologie à la Sorbonne), soit l’an 1986, cette discipline de la linguistique, à mi-chemin entre la lexicologie/graphie et la sociolinguistique fêtera bientôt ses 40 ans. La notion d’argot dont le nom de la discipline est dérivé, a été largement débattue par les membres du laboratoire, dès les premiers travaux fondateurs du Centre que représentent les quatorze numéros des fameux Documents de travail (1986-1992), le recueil L’Argoterie (1989) de sa fondatrice Denise François-Geiger ou encore le numéro thématique de La Linguistique intitulé Parlures argotiques (François-Geiger & Goudaillier, 1991)[1]. Par rapport à ses acceptions historiques et/ou générales, elle y était considérablement redéfinie sous l’optique fonctionnaliste. Comme en témoignait l’un des fondateurs du CARGO, Marc Sourdot dans une interview :

Mais il y a toujours eu une certaine prévention, sinon contre l’argot, du moins contre certains pratiquants de l’argot alors que nous avons évacué complètement cette idée de ‘couche dangereuse’, de ‘mauvais langage’ etc. On a donc posé l’argot comme un ensemble de faits de langue parmi d’autres sans aucun a priori. (Sourdot in Podhorná-Polická (éd.), 2011 : 172)

Ce terme-clé pour l’argotologie reste pourtant une notion en quelque sorte bipolarisée. En sortant du petit cercle d’argotologues, cette définition moderne, débarrassée de ses nombreuses connotations historiques, est plutôt ignorée, ce qui mène les argotologues à opter pour d’autres variantes terminologiques, notamment pour l’hyperonyme sociolecte ou encore, quand il faut spécifier le groupe ciblé, pour le parler (des jeunes notamment). En quête permanente d’une neutralité axiologique pour la notion d’argot dans son sens moderne (définie notamment par la fonction expressive, identitaire et par l’objectif communicatif de contournement des stéréotypes), les argotologues se voient souvent confrontés à la vision historique de l’argot, partagé largement et de manière transgénérationnelle dans la société (où domine le mythe de la primauté cryptique et la vision des strates sociales disparates imperméables).

Parallèlement au débat sur les frontières entre le standard et le non-standard, où le terme d’argot occupe une position centrale indéniable, un débat sur les frontières entre l’argot et les autres termes-clés de l’argotologie a été ouvert dès la fondation du CARGO. Il s’articulait en premier lieu sur deux termes, synonymes historiques, argot et, plus spécialisé, jargon, ayant pour résultat la proposition (par Sourdot, voir 1991 et 2015) d’un terme intrinsèque, le jargot. Un autre débat terminologique de haute importance s’articulait sur des innovations lexicales des jeunes générations et spécialement celles apportées dans l’espace médiatique de la part des adolescents des espaces urbains qu’on nomme « cités », de différentes régions de la France (et de la francophonie), répondant partiellement aux critiques apportées au syntagme français contemporain des cités (Goudaillier 1997) par certains sociolinguistes. Ceci a permis d’établir une axiologie verticale partant d’une notion générale d’argot commun pour passer par argot commun des jeunes vers argot des jeunes des cités (jusqu’à la notion de micro-argots) (cf. Szabó 1991 et 2002 ; Fiévet 2008 et Podhorná-Polická 2009) mais aussi de renouer avec le terme d’origine, fortement médiatisé au tournant des années 1990/2000, tout en générant une innovation terminologique qui prend en compte la désargotisation due à l’exposition/partage médiatique (français contemporain originaire des cités par Gensane Lesiewicz 2023). Les différents argots à clef forment également des sujets de débats terminologiques et notionnels répétitifs au sein de la discipline (voir p. ex. l’article de Vorger dans ce volume autour de quoicoubeh) et les exemples récents des études sur le terrain sur le louchébem (Hardy 2022 et Saugera 2024) montrent clairement que l’observation de l’évolution des pratiques langagières entre pairs ou collègues mérite un intérêt permanent des argotologues et que ces évolutions offrent à ces derniers un matériel linguistique quasi-inépuisable.

Parmi les termes incontournables de l’argotologie, il y a pourtant un terme qui n’a pas connu, à notre connaissance, un débat plus profond en ce qui concerne son origine, sa définition et son usage au sein et en dehors des études d’argotologie : le syntagme langue verte. Dans la suite de cet article, nous proposons de combler cette lacune.

1. Définitions actuelles de la langue verte

Les définitions et les origines de cette locution nominale sont aussi obscures, lacunaires et peu explicites que celles du mot argot, ce qui laisse place à de nombreuses interprétations arbitraires et stéréotypées. Pour le Dictionnaire de l’Académie française ainsi que pour le Robert et le Larousse en ligne (sous l’entrée langue), la locution langue verte est un synonyme d’argot. Avec sa définition : « langage libre et cru, voisin de l’argot », le Wiktionnaire, qui reprend une notion énigmatique de Littré du XIXe siècle[2], apporte quant à lui une « nuance », différence apparemment subtile, sur un ensemble déjà flou conceptuellement. Dès lors, la notion même de langue verte paraît d’emblée incertaine et peu objective.

Avant de passer en revue nos résultats de recherche dans les corpus concernant l’usage de ce syntagme qui ne servirait, selon les dictionnaires, qu’à alterner stylistiquement avec le terme d’argot, nous proposons de revenir sur les origines de cette appellation et à ses premières définitions dans les dictionnaires d’argot historiques.

2. Des sources juridiques

Cette locution apparaît dans la première moitié du XIXe siècle sans vraiment laisser de certitude quant à son étymologie. Dès lors, plusieurs hypothèses sont proposées.

La première est relative à la locution nominale professeurs de langue verte mentionnée dans le journal Le Droit dès 1836 :

On appelle ainsi en style de maisons de jeu et de police, à cause de la couleur du tapis, certains individus, qui, ruinés eux-mêmes ou n’ayant jamais rien possédé, font métier d’enseigner aux autres la route de la fortune, et cela par des moyens sûrs, mathématiques, infaillibles en théorie et qui pourtant manquent toujours dès que l’on essaie l’application. (Le Droit, 1836).

Cet extrait donne une définition de la locution nominale professeur de langue verte en attribuant cette couleur à celle du tapis de jeu, sans préciser le sens du mot langue. Un an plus tard, cette définition est attestée dans la Gazette des tribunaux :

Un professeur de langue verte est un homme qui a usé sa vie et sa fortune, s’il en a eu, aux chances du tapis vert, et qui n’a plus pour vivre que sa longue expérience des martingales, des refaits, des séries, des intermittences et, en un mot, de toutes ces expressions qui forment le fond de la langue verte (autrement dit la langue du tapis vert). (Gazette des tribunaux du 19 mai 1837)

Ces deux extraits de quotidiens, dont le second admet clairement l’existence d’une « langue verte » relative au jeu indépendamment de la locution professeur de langue verte, nous donne la première attestation de cette appellation. Cependant, il n’est nullement mentionné qu’il s’agit de locutions extérieures aux cadres bien définis que constitue le lexique du jeu.

Par ailleurs, cette appellation pourrait être une simple métaphore mésinterprétée et relative à la roulette. Dans la première mention de professeur de langue verte de 1836, année de l’interdiction en France de ce jeu de hasard, l’auteur s’abstient d’associer le mot langue à un langage particulier. En effet, le but d’un tel professeur n’est pas d’enseigner un langage particulier, dont l’idée de cryptage serait inappropriée dans un milieu très surveillé qui peut rassembler des gens fortunés de France et d’Europe (jusqu’à cette date), mais les diverses règles et possibilités d’optimiser ses chances sur une table de jeu complexe pour le néophyte. Dès lors, le professeur de langue verte serait un professeur d’activités sur table de jeu, et il se trouve que cette dernière à la forme d’une langue (voir Annexe). Il n’est donc pas impossible que langue verte désigne alors la table de jeu, à l’image de la locution langue verte désignant une bande végétale dans un parc ou un jardin, et pas un langage.

La Gazette des Tribunaux de 1837 qui mentionne pour la première fois le terme de langue verte comme « langage » donne des exemples qui ne sont que des termes relatifs à des stratégies mathématiques pour illustrer cette expression sous une forme linguistique. Cet article pourrait donc être, à l’écrit, la première confusion possible entre langue désignant la forme et langue désignant un lexique de jeu. Aussi, il est probable que la locution langue verte, métaphore mobilière ou appellation suspicieuse, provient des classes sociales fortunées.

Quoi qu’il en soit, les deux locutions : professeur de langue verte, considérée comme étant à l’origine de celle de langue verte (lexique du jeu), ne sauraient justifier l’utilisation généralisée de cette dernière à l’ensemble des diversités linguistiques sociales et/ou professionnelles de la langue verte (comprise comme argot) présentement étudiée.

3. Le Dictionnaire de la Langue verte d’Alfred Delvau

Alfred Delvau, dans son Dictionnaire de la Langue verte, de 1866, adopte cette appellation moderne sans pour autant nous donner explicitement la moindre raison objective :

Maintenant, pourquoi Dictionnaire de la Langue verte ? Ce n’est pas là, qu’on daigne me croire, un titre de fantaisie choisi pour accrocher le regard du passant et forcer son attention[3]: je ne l’ai pris que parce que je devais le prendre, parce que les mots de ce Dictionnaire appartiennent à la Langue verte. (Delvau, 1866, p. x)

Puis par un revirement inopiné, il enchaine en se justifiant :

Je n’ai pas plus inventé cette appellation singulière[4] que je n’ai inventé les divisions de cant et de slang, qui servent à distinguer les argots anglais, et qui m’aideront à distinguer les argots parisiens. Le cant c’est l’argot particulier; le slang, c’est l’argot général. Les voleurs parlent spécialement le premier; tout le monde à Paris parle le second […]. En France, on parle peut-être français; mais à Paris on parle argot, et un argot qui varie d’un quartier à l’autre, d’une rue à l’autre, d’un étage à l’autre. Autant de professions, autant de jargons différents, incompréhensibles pour les profanes […]. (ibid., p. x-xj)

La langue verte serait donc pour Delvau un ensemble de concepts relatifs aux « argots », particuliers et général (qu’il compare au cant et au slang anglais), et aux « jargons » (compris a priori comme technolectes). Cette locution nominale ressemble alors plus à un pis-aller, une sorte de débarras linguistique participant au flou notionnel des épiphénomènes langagiers du français.

Bien qu’il fasse allusion à un certain nombre d’argots et de jargons différents en fonction du lieu, de la strate sociale[5] ou de la profession, il attribue arbitrairement l’argot particulier aux voleurs. Jugement de valeur, contradictions (voire dissonances cognitives), incertitude dissimulée, Delvau semble embarrassé de devoir s’expliquer sur le choix de cette locution et préfère éviter la question par une pirouette, piètre aveu de sa méconnaissance, pourtant partagée par ses contemporains, et de son impossibilité à définir l’objet de son dictionnaire. Toutefois, il tente une définition dans son abécédaire[6] :

LANGUE VERTE, s. f. Argot des joueurs, des amateurs de tapis vert. Il y a, dans les Nuits de la Seine, drame de Marc Fournier, un professeur de langue verte[7] qui enseigne et pratique les tricheries ordinaires des grecs[8]. Le sens du mot s’est étendu: on sait quel il est aujourd’hui.
Langue verte! Langue qui se forme, qui est en train de mûrir, parbleu ! (ibid., p. 273)

L’hypothétique étymologie de cette locution : argot des joueurs, est mentionnée, et sans qu’aucune raison ne soit évoquée, il apparaît que « le sens du mot s’est étendu » ; et Delvau rajoute : « on sait quel il est aujourd’hui », renvoyant ainsi ce qu’il ne sait pas vraiment définir au lecteur qui n’en sait probablement pas plus. En se défaussant de l’obscure notion de langue verte sur les lecteurs, il n’apporte pas le moindre éclaircissement sur le sujet et contribue même au flottement notionnel généralisé auquel il se confronte. Il tente aussi une proposition de sens avec une métaphore de la nature. Bien que celle-ci soit peu convaincante, elle peut sous-entendre que l’origine du tapis vert n’est pas assez satisfaisante pour lui non plus.

4. Définitions de langue verte dans divers dictionnaires d’argot

En 1856, Francisque Michel donne la définition suivante :

LANGUE VERTE, s. f. Argot des joueurs. Dans le prologue d’un mélodrame de M. Marc Fournier, joué au théâtre de la Porte-Saint-Martin sous le titre des Nuits de la Seine, prologue intitulé la Langue verte, un personnage nommé Ronceveaux donne à sa femme des leçons de cet argot. Voyez le feuilleton du Constitutionnel, n° du 14 juin 1852, col. 3 et 4. (Michel, 1856, p. 244)

Michel reprend les informations données par Auguste Lireux (1852, col. 3 et 4) à la rubrique « Théâtre » du Constitutionnel, dans laquelle il résume ladite pièce. Mais l’acte I servant de prologue (Premier Tableau) ne s’intitule pas la Langue verte mais Le professeur de langue verte, ce qui constitue une différence notable comme nous l’avons vu supra. Ensuite, la mention de langue verte comme argot apparaît à la scène VIII du prologue intitulée : Hortence, Roncevaux, et se résume à une réplique du personnage Roncevaux dans laquelle il donne sa définition de langue verte et pas un enseignement des « tricheries ordinaires des grecs » comme le prétend Delvau, ni une « leçon » à sa femme, comme le prétend Lireux, et encore moins de « leçon de cet argot », comme le prétend Michel qui mésinterprète à sa convenance les propos de cette rubrique peu réaliste quant au contenu de la pièce de théâtre[9].

En 1881, Lucien Rigaud, dans son Dictionnaire d’argot moderne, donne une définition concise mais explicite quant à son évolution : « Langue verte. Argot des tricheurs, langue irrégulière, bas langage. Tantôt verte comme une pomme au mois d’août, tantôt verte comme un gibier trop faisandé » (Rigaud, 1881, p. 222-223). L’argot des joueurs selon Michel et Delvau est devenu l’argot des tricheurs pour Rigaud ce qui rajoute non plus une suspicion mais un poncif péjoratif systématique associé au langage. La locution langue irrégulière peut être comprise comme : langue qui n’est pas conforme à l’usage commun, mais aussi comme : langue malhonnête, qui ne respecte pas les règles de la morale. Puis il intègre une notion hiérarchique de la langue : bas langage, qui peut aussi faire référence à deux interprétations : langage moindre en valeur ou méprisable. Compte tenu de la première acception, il semblerait que les jugements de valeurs véhiculés par le double langage de Rigaud penchent en faveur des secondes interprétations.

La même année, Lorédan Larchey (1881, p. 74 du Supplément), donne une définition qui vient contredire les définitions précédentes et attribue à Delvau le succès de cette appellation désignant l’argot. Mais il conteste un prétendu détournement de son acception première qui concernerait les « mots crus ». Le mot vert semble faire allusion à l’adjectif (placé devant le nom) désignant la rudesse, mais l’absence d’informations complémentaires (et l’aspect confus de cette définition) n’apporte aucune information susceptible d’étayer de telles affirmations.

Dans son Dictionnaire de la langue verte : archaïsmes, néologismes, locutions étrangères, patois (France, 1907), France, comme Delvau, intègre aussi la locution langue verte dans son abécédaire :

LANGUE VERTE. Nom donné primitivement à l’argot des joueurs à cause du tapis des tables de jeu, ordinairement vert. C’est depuis le Dictionnaire de Delvau, l’argot en général. Ainsi le professeur de langue verte était un joueur ruiné offrant ses conseils, et non un maître d’argot (ibid., 194).

Hector France admet l’origine de cette appellation comme provenant du monde du jeu, même s’il comprend que professeur de langue verte ne signifie pas « un maître d’argot » mais « un joueur ruiné offrant ses conseils » et conçoit la langue verte comme « l’argot en général » en attribuant cette notion à Delvau et son dictionnaire. Ainsi, France utilise la notion obscure de Delvau et interprète de manière toute personnelle sa définition alambiquée sans apporter la moindre explication sur les raisons d’une telle appellation[10]. Il se contente de la reprendre en se servant de l’aspect général de cette notion énigmatique pour y intégrer « archaïsmes, néologismes, locutions étrangères, patois », indissociables de la langue française. Aussi, en généralisant cette langue verte à l’extrême, ne révèle-t-il pas l’indissociabilité du français et de ses épiphénomènes ?

Pour Sainéan (1907, p. 39), il s’agit d’un argot relatif au jeu de hasard. Il amalgame, plus explicitement que Rigaud, les tricheurs et les amateurs de tapis vert suivant un langage commun. Puis il cite la définition du Dictionnaire Argot-Français & Français-Argot de Georges Delesalle (Delesalle, 1896, p. 160) afin de souligner son inexactitude (curieuse façon de définir une entrée par ce qu’elle n’est pas censée être) et n’hésite pas à déformer, grâce à une coquille, les notions de ce dernier.

Notons aussi que Delesalle utilise une métaphore de la nature pour illustrer la locution langue verte : « langage vert, âpre comme le fruit qui n’est pas mûr ». Mais comme celle de Rigaud, Delvau, Larchey ou Lireux dans son feuilleton, et même Sainéan à travers la citation de Delesalle, ces métaphores qui évoquent des thèmes différents (nouveauté, ambivalence, corruption, âpreté, etc.) sont des associations d’idées personnelles, jamais convaincantes, qui révèlent davantage le besoin de justifier le mot verte de langue verte sans jamais y parvenir.

En 1920, Sainéan réitère son point de vue sur la langue verte et persiste à amalgamer, à cause du lexique du jeu, tricheurs et joueurs (Sainéan, 1920, p. 231). Les auteurs qui commettent la même erreur pensent certainement que martingale, séries ou intermittences sont des noms donnés à des escroqueries particulières alors qu’il s’agit de stratagèmes légaux et pour cause, ils sont faillibles.

Sainéan revient aussi sur l’influence de Delvau quant au succès de cette locution mais cette fois-ci, il prétend que ce dernier a étendu son sens non pas au « bas-langage » mais au « vulgaire parisien ». Il semblerait que, plus d’un demi-siècle après le Dictionnaire de la langue verte (1866) de Delvau, Sainéan n’admette pas que ce dernier étende le sens de langue verte bien au-delà du « vulgaire parisien », et englobe entre autres « l’argot des académiciens » ou « l’argot de l’Institut » (ibid., p. xxiij)[11], mais aussi l’« argot des bourgeois » (p. xxvj).

Ces divers exemples de définitions et notions de langue verte (parmi d’autres) à travers le XIXe et le début du XXe siècle, montre d’avantage l’absence d’un quelconque consensus sur le sujet qu’une évolution objective de sa définition. L’énigmatique origine de cette locution, basée sur des présupposés et probablement issue d’une confusion avec la locution professeur de langue verte, est responsable d’un éparpillement d’idées personnelles toujours associées au ressenti, à la symbolique ou la signification que le mot verte peut véhiculer dans l’imaginaire linguistique de chaque auteur. Jamais le mot langue n’est remis en question, ce qui est peut-être un tort en ce qui concerne le langage du jeu, si nous considérons ce dernier comme un ensemble de règles ou possibilités lexicalisées liées à ce jeu (disposé sur une table en forme de langue). Si nous la considérons comme un langage secret de tricheurs, encore faut-il justifier son utilisation dans un milieu très surveillé où les joueurs souvent fortunés n’éprouveraient a priori aucune nécessité de tricher.

D’autre part, nous pouvons constater que les sources choisies par ces auteurs ne sont pas très fiables et sont souvent soit mal interprétées soit déformées, et principalement en leur faveur. Les diverses métaphores utilisées pour expliquer la couleur verte dans langue verte montrent que l’origine de cette locution, relative au jeu, n’est pas satisfaisante, ou suffisante, pour que ces auteurs puissent valider la généralisation de son usage aux divers langages particuliers.

Il y a donc non seulement un doute sur l’origine sémantique de langue verte, mais aussi une lacune, un chainon manquant (entre 1836 et 1866) permettant de relier cette locution concernant le jeu à l’argot, si un tel chainon existe. Dans une telle incertitude, il n’est pas étonnant que certains auteurs imputent l’entière responsabilité de l’usage de cette locution, prétendument « détournée » et généralisée « abusivement », à Delvau et son dictionnaire car cette bouc-émissairisation permet de pallier l’inintelligibilité d’une appellation linguistique dont les sources mènent à des impasses étymologiques ; de rassembler un certain courant de pensée « argotologique » et de clore le débat quant à la signification de cette locution nominale dont les matrices polysémiques laissent place à une quantité d’interprétations.

Calvet rapporte une seconde « connotation » pour d’écrire cette locution néologique que revêt l’argot à cette époque :

On a par ailleurs baptisé l’argot langue verte (l’expression est datée de 1852) avec deux connotations différentes, l’une renvoyant à la langue des jeux (par référence au tapis vert) et l’autre à la rudesse (qu’exprime par exemple l’adverbe vertement dans une phrase comme parler vertement) : la langue verte est ici conçue comme langue de tricheurs[12] mais aussi comme langue rude. (Calvet, 2007, p. 6)

Tout d’abord, la langue verte comme langage cryptique attribuée au jeu est une acception qui nécessiterait une raison logique dans un contexte de maison de jeu, ce qui n’est pas démontré. La forme de la table de jeu semble plus appropriée pour cette locution et le professeur de langue verte qui connait bien les règles et les possibilités qui s’offrent aux joueurs fait profession de ses connaissances.

Ensuite, pour ce qui concerne la locution langue verte, en l’absence de lien objectif entre un hypothétique lexique du jeu et la désignation comprise comme « langage argotique », il serait peut-être préférable de les distinguer comme des homonymes, plutôt que de chercher dans le premier des fonctions cryptiques injustifiées, quitte à intégrer la notion gratuite de « triche » pour lui donner une connotation malveillante plus proche des poncifs habituels censés valider arbitrairement sa (dé)classification sociale.

Et enfin, s’il s’agit d’un langage particulier, nous devrions élargir son sens à l’ensemble des épiphénomènes langagiers puisqu’il est inhérent à tout groupe indépendamment des strates sociales, des professions ou autres activités, récréatives ou non. Dès lors qu’une communication s’entretient régulièrement entre des locuteurs, des particularismes permettant d’adapter le discours à celui de l’autre selon diverses fonctions se créent naturellement, et par conséquent, sont susceptibles d’apparaître comme une langue verte « familière » qui peut être empruntée à la langue verte « populaire » ou qui peut l’alimenter. La langue verte serait alors une locution désignant une création lexicale pragmatique adaptée à l’interlocuteur et au contexte, permettant ainsi une expressivité plus riche, qu’elle soit vernaculaire ou véhiculaire.

5. La notion contemporaine de langue verte dans les corpus électroniques

Afin de comparer la notion de cette locution avec l’usage qui en est fait aujourd’hui et de relever des récurrences et les connotations qu’elle véhicule dans chacune des occurrences réelles (c’est-à-dire isolées des divers bruits), nous avons procédé à une recherche sur un corpus électronique contemporain. Cette recherche a été effectuée sur le corpus French Web 2023 (frTenTen23) disponible sur le site Sketchengine.eu. Dans la recherche CQL[13], nous avons tout d’abord envisagé la locution avec des mots intermédiaires (à partir de 3 intermédiaires, puis 2, 1 et 0).

Si nous additionnons ces résultats, nous obtenons les chiffres suivants :

Tableau 1. Syntagme langue verte dans le corpus frTenTen23 (résultats avec et sans intermédiaires)[14]
brak danych occurrences bruits résultat réel
Avec intermédiaires 124 64 60
Sans intermédiaire 805 345 460
Total 929 409 520
% 100 44,03 55,97

Pour les résultats des quatre recherches CQL, nous avons comptabilisé 520 occ. réelles sur 929, soit près de 56%.

Tableau 2. Chiffres relatifs pour les contextes de la locution langue verte
brak danych résultat réel contextes non-littéraire contexte littéraire
Total 520 240 280
% 100 46,5 53,5

En ce qui concerne les occurrences autres que littéraires (soit 46,5 %), il s’agit d’utilisations diverses de langue verte pour désigner le langage argotique dans des contextes variés :

« Oui, il ressemble à la langue verte de l’après-guerre. » (oniris.be)
« Il vient tout droit de la bohème, et de la bohème à la langue verte. » (agora.qc.ca)
« La langue verte a plusieurs expressions pour désigner la tête humaine. » (1fr1.net), etc.

L’utilisation de cette locution dans les descriptions, les commentaires et les critiques d’ouvrages littéraires (pour décrire le langage d’un auteur) concerne plus de 53 % des occurrences.

Ces attestations variées et complexes, en ce qui concerne le ressenti de chaque auteur, peuvent être réparties en quatre groupes :

  1. Neutres (même s’il s’agit d’une critique positive, langue verte désigne le style littéraire sans connotation) :
    « L’histoire commence dans un style incisif et rythmé, dans une langue verte et imagée, qui campe bien le personnage du reporter marginal et désabusé. » (marhic.fr)
    « L’étude de Louis Bergès aborde un lexique très particulier, celui de la langue verte, en l’occurrence l’argot employé par les personnages de Balzac. » (openedition.org)
  2. Positives (langue verte apparaît comme un élément mélioratif) :
    « Et toujours cette merveilleuse langue verte, cet argot et ces trouvailles stylistiques comme on n’en invente plus aujourd’hui... » (guidelecture.com)
    « Quand elle vire au noir, la langue verte a des trouvailles de génie. » (folio-lesite.fr)
  3. Affectives (langue verte est associée à un terme affectif : amoureux de, fasciné par, que j’affectionne, me séduit, etc.) :
    « Une langue verte, vivante, colorée, fleurie, qui m’a séduit. » (culturclub.com)
    « L’auteur nous décrit aussi Oscar Wilde ivrogne et fasciné par la langue verte dans laquelle il voit la poésie du siècle. » (kazeo.com)
  4. Négatives (langue verte porte une connotation péjorative) :
    « […] je me sens envahi par le dégout de l’argot et de la vulgarité, et pour un peu je jurerais de ne plus jamais employer un seul mot de la langue verte […]. » (chire.fr)
    « Les phrases s’émaillent de réflexions prudhommesques, de grécisme, de solécismes, sans compter plus d’un emprunt à la langue verte de Rome. Cette langue populaire, déjà corrompue […]. » (remacle.org)
Tableau 3. Les occurrences relatives aux commentaires littéraires
brak danych occ. litt. neutre positif affectif négatif
Total 280 172 74 21 13
% 100 61,43 26,43 7,5 4,64
Connotation neutre méliorative péjorative
% 61,43 33,93 4,64
Perception objective subjective
% 61,43 38,57

Les commentaires littéraires qui utilisent la locution langue verte pour désigner ce langage, sont en majorité neutres, cependant, le choix de cette locution pour remplacer le mot argot, peut être relativement partial pour les raisons mentionnées supra : euphémisme, poétique, esthétique (voire esthétisme), mercatique, etc.

Les commentaires positifs sont nombreux : plus de 1/3 si les commentaires affectifs sont additionnés. Ces derniers (1/13), comme les positifs, sont mélioratifs malgré la subjectivité intensifiée de leurs propos. Cette proportion de commentaires mélioratifs montre que la langue verte dans le milieu littéraire peut avoir aujourd’hui un statut stylistique apprécié et approuvé par les critiques littéraires.

Les commentaires négatifs sont quant à eux les moins nombreux (un peu moins de 1/20) et correspondent à un rejet de l’argot écrit, une discrimination linguistique du style littéraire qui peut renvoyer à une glottophobie.

Néanmoins, la part de subjectivité, d’environ 40%, est essentiellement positive et la part d’objectivité, d’environ 60%, tend aussi vers une mélioration de la locution langue verte désignant l’argot.

Comme le montre le corpus, la langue verte est comprise essentiellement comme étant de l’argot, toutefois, cette appellation apparaît plus acceptable et moins connotée péjorativement. Il en est de même en ce qui concerne la critique littéraire : il apparaît, au final, qu’elle tend à une mélioration en faveur de l’argot à travers cette locution décrivant un style écrit, dénotatif, et peu représentatif du langage oral, mais qui a le mérite de s’affranchir des considérations négatives et sans suites des divers auteurs du XIXe et début du XXe siècle. La perception de ce « langage littéraire » apparaît plus objective (~61%) que subjective (~39%) mais cette subjectivité considérable, bien qu’essentiellement mélioratives, dessert beaucoup la notion même de langue verte. Celle-ci devrait refléter le produit d’un discours épilinguistique, en fonction du contexte et des habitus des locuteurs ainsi que la régularité d’une communication entretenue et l’adaptation à l’autre que suggère le plus commun des liens sociaux, et non pas un ressenti personnel ou une appréciation particulière.

Pour langue verte, le signifiant semble l’emporter sur le signifié, une locution en guise de contenant dans lequel chacun est libre d’y entreposer ce que son imaginaire linguistique lui suggère et qui n’est pas nécessairement partagé par les lecteurs, les auteurs ou même par leurs pairs. Dès lors, toute confusion est possible car la polysémie incertaine de cette locution développée dans un contexte aussi nébuleux ne saurait faciliter une communication censée reposer sur une sémantique partagée. Le sens général qui finit par lui être attribué devient une commodité.

Conclusions

La raison de l’existence de la locution langue verte (et le flou notionnel qu’elle véhicule) semble provenir de la nécessité de remplacer le mot argot, galvaudé, dont l’origine est d’autant plus mystérieuse et souvent connotée péjorativement de surcroit. Mais nous ne pouvons pas réfuter l’aspect mercatique de ce XIXe siècle concernant un langage somme toute relativement commun pour les locuteurs qui l’emploient, en fonction des divers groupes quels qu’ils soient, mais néanmoins particulier pour les locuteurs d’une affiliation différente, quelle qu’elle soit.

L’incompréhension d’un langage en raison d’une non-appartenance au groupe qui l’utilise n’est qu’une simple conséquence logique. Or, les lexicographes du XIXe siècle soutiennent inlassablement l’idée d’une intention de cryptage systématique (qui serait la cause de ce langage) dès lors qu’un mot est étranger au lexique de leur appartenance. Il s’en suit inévitablement un raisonnement fallacieux qui mène à considérer des locuteurs d’un autre groupe comme suspects et malintentionnés. L’imperméabilité supposée de la langue verte ou de l’argot a pourtant été démentie par les écrivains et les journalistes de ce XIXe siècle qui, en côtoyant ces strates sociales, ont très vite assimilé ce soi-disant mystérieux lexique pour renouveler le leur dans leurs romans ou pour alimenter les gazettes et journaux de sujets « de curiosités ». Les uns comme les autres avaient un intérêt commercial évident à maintenir la mythification d’un langage présumé secret et dangereux.

Les notions relatives aux secrets, aux mystères et au cryptage associé systématiquement à l’incompréhension d’un langage, révèlent aussi une certaine incompétence séculaire des strates sociales les plus élevées à dissocier un langage (particulier ou de la population la plus représentative) de celui des personnes malintentionnées, et de ce fait entachent de manière quasi-indélébile la notion de langue verte tout comme celle d’argot dans les écrits, et par conséquent, dans l’imaginaire linguistique.

Quoi qu’il en soit, la langue verte, comme l’argot, est souvent méprisée ou soumise à des appréciations péjoratives, à des jugements de valeurs, à des stéréotypes, quand elle n’est pas tout simplement attribuée au monde du délit et du crime. Les dépréciations de cette locution développées à partir d’opinions toutes faites, qui réduisent inévitablement les particularismes et suivent des raccourcis aussi commodes que dangereux, mène directement à un point de vue généralisateur dans lequel la population française peut être perçue, selon la position sociale à laquelle un observateur appartient, comme potentiellement délinquante ou criminelle (ou du moins malhonnête), du simple fait de ses habitudes langagières.

L’attribution systématique du terme langue verte (ou argot) à une activité illicite, voire criminelle, est un amalgame tenace malgré les perspectives actuelles de l’argotologie moderne et l’usage euphémique de cette locution dans les critiques littéraires. L’imaginaire linguistique des lexicographes du XIXe et du XXe siècle, pour des raisons essentiellement sociales, a largement contribué à cette approche et au flou notionnel qui en découle. Notre contribution a pour but de soutenir une réflexion sur les termes abstraits utilisés pour désigner les pratiques langagières de groupes sociaux quelconques, notamment sur leur représentation et leur légitimité sémantique.


Autorzy

* Laurent Canal, est doctorant à l’Institut des Langues et Littératures romanes (Faculté des Arts, Université Masaryk, Brno, Tchéquie) et enseignant à la Faculté de Pédagogie de la même université. Sa thèse de doctorat (soutenance prévue pour janvier 2026) porte sur la notion d’argot dans les corpus électroniques et dans les réactions spontanées des locuteurs francophones. Il est auteur de plusieurs articles relatifs à des thématiques argotologiques et sur l’enseignement du français standard et substandard.

* Alena Podhorná-Polická, est professeure associée de linguistique française à l’Institut des Langues et Littératures romanes (Faculté des Arts, Université Masaryk, Brno, Tchéquie). Elle s’oriente sur la diffusion des innovations lexicales et sur les façons de parler des adolescents. Elle est l’auteure de deux monographies : Universaux argotiques des jeunes (2009) et Dynamika šíření lexikálních inovací: Identitární neologie a sociolektologie ve francouzském jazykovém kontextu [La dynamique de la diffusion des innovations lexicales : néologie identitaire et sociolectologie dans le contexte de la langue française] (2022).


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Vorger, Camille (sa contribution dans ce volume)


Annexe

Carte postale XIXe siècle, Monte-Carlo – Le Casino. La Salle Schmidt. RM
Carte postale XIXe siècle, Monte-Carlo – Le Casino. La Salle Schmidt. RM
Jean Beraud, La salle de jeu au casino, 1889
Jean Beraud, La salle de jeu au casino, 1889

Notes

  1. 1 Les actes du Premier Colloque International d’Argotologie, tenu à Besançon en octobre 1989, n’ont malheureusement pas paru.
  2. 2 Le Dictionnaire de la langue française, Tome 4 (Littré, 1874, p. 2465), dans sa huitième entrée, définit la langue verte comme un « parler voisin de l’argot […] ».
  3. 3 Cette allusion au mercatique, dont Delvau se défend, nous suggère un certain intérêt de ses contemporains pour cette appellation et nous rappelle que langue verte ou argot étaient des noms très vendeur au XIXe siècle, et l’origine mystérieuse de ce langage était probablement un atout additionnel de vente à mettre en avant.
  4. 4 En 1867, après le succès de son dictionnaire, Delvau développe un autre discours dans Les plaisirs de Paris, au chapitre La langue verte (Delvau, 1867, p. 10-14) : « […] j’ai eu, il y a quelques années, l’idée d’inventer autre chose, qui fit du tapage dans le monde, et la Langue verte fut ! » (ibid., p. 11) ; puis : « Langue verte ou Langue bleue, c’est la touselle à la mode, et je ne me doutais guère, en l’inventant, qu’elle le deviendrait si vite. » (ibid., p. 12) ; quant aux raisons du choix de l’appellation de son dictionnaire, il affirme l’avoir intitulé : Dictionnaire de la Langue verte, « afin de lui donner un nom quelconque. » (ibid., p. 13). Il s’attribue la paternité de cette locution, ou du moins le parrainage (ibid.), mais sans pour autant expliquer les raisons d’une telle appellation. Cette appropriation soudaine, donne une certaine autorité à Delvau en matière de savoir sur Paris, validation qui paraît plus commerciale qu’objective étant donné les contradictions et les incertitudes apportées par son texte. D’ailleurs, il en profite pour faire la promotion de son dictionnaire dont il constate « son indispensabilité […] aux provinciaux et aux étrangers qui viennent à Paris […] » (ibid.)
  5. 5 Les rues et les quartiers peuvent faire allusion à une certaine variété sociale, mais à cette époque, c’est aussi l’étage qui marque le « niveau » social : le rez-de-chaussée et l’entresol, commerces et remises ; 1er étage courant, l’aristocratie et la haute bourgeoisie ; 2e étage, la bourgeoisie aisée ; 3e étage, la petite bourgeoisie, et au dernier (sous les toits) les classes populaires.
  6. 6 Langue verte serait donc pour Delvau une locution propre à la langue verte.
  7. 7 Delvau avait publié en 1864, un Dictionnaire érotique moderne par un professeur de langue verte (qui lui valut des poursuites judiciaires). Pour lui, un professeur de langue verte était donc un professeur d’« argot ».
  8. 8 Les nuits de la Seine (1852), mélodrame en 5 actes de Marc Fournier, alors directeur du théâtre de la Porte-Saint-Martin à Paris, est l’attestation retenue de langue verte comme locution désignant l’argot.
  9. 9 Une phrase de Lireux : « […] si je ne me trompe, voilà la première fois qu’on parle de langue verte au théâtre » (ibid.) a probablement contribué à l’attribution arbitraire de cette appellation à une pièce de théâtre alors qu’il est aussi suggéré par Lireux que l’on parlait déjà de cette locution nominale ailleurs que sur les planches.
  10. 10 Par ailleurs, son introduction, hormis le titre qui la surplombe, ne mentionne que l’argot, et la première page du lexique est titrée : Dictionnaire d’argot (ibid., p. 1). Tout laisse croire qu’Hector France (ou la Librairie du Progrès qui a publié son dictionnaire) a utilisé cette appellation au dernier moment sur la couverture et les premières pages, pour se démarquer des autres dictionnaires d’argot dont il s’est ouvertement inspiré et pour user d’une stratégie mercatique probablement reprise de la prétérition de Delvau : « Ce n’est pas là […] un titre de fantaisie choisi pour accrocher le regard du passant et forcer son attention […] » (ibid., p. x).
  11. 11 Pour Delvau, le choix de cette appellation justifie aussi « une impérieuse nécessité de classification » (ibid.).
  12. 12 Il semble que cette appréciation, relève plus d’une généralité hâtive (usuel raccourci péjoratif régulièrement constatable) se référant à une libre interprétation littéraire citée par Delvau au sujet d’une autre expression : « professeur de langue verte ». Or les « joueurs » qui connaissent le lexique relatif au jeu ne sont pas forcément malhonnêtes. Elle semble aussi contradictoire avec les attestations précédentes (un « joueur ruiné » serait un très mauvais tricheur).
  13. 13 CQL est l’abréviation de Corpus Query Language, un langage d’expression de requêtes. Il s’agit d’une suite de caractères formalisée pour rechercher un mot ou syntagme lexical. Cette recherche peut se faire à partir d’une graphie, d’un lemme ou d’une catégorie grammaticale et de ses combinaisons.
  14. 14 Pour des raisons de marquage souvent erroné (dû à l’étiquetage automatisé) dans le corpus électronique, toutes les occurrences ont été triées une à une et traitées au cas par cas.