ACTA UNIVERSITATIS LODZIENSIS
Folia Litteraria Romanica 20(1) 2025

DOI: https://doi.org/10.18778/1505-9065.20.1.02

Formation de « bonnes » et de « mauvaises » paroles en français

Anna Bochnakowa*

logo ORCID https://orcid.org/0000-0003-2707-3261
Professeure émérite
Université Jagellonne de Cracovie
anna.bochnak@uj.edu.pl

RÉSUMÉ

L’article est une présentation des formations complexes contenant les éléments bon, mauvais, bien et mal, aussi bien du point de vue morphologique que sémantique. Les exemples, puisés principalement dans Le Petit Robert et dans le site internet spécialisé Les expressions françaises décortiquées sont classés en formes dérivées, composées, expressions et locutions. L’observation de la modification de sens apportée par l’adjonction de lexèmes cités (indépendants ou liés) constitue l’objet essentiel du présent texte. Dans le procédé de la formation lexicale, les éléments bon, mauvais, bien et mal perdent souvent leur sens primaire et contribuent à la création de néologismes formels et sémantiques, dont les fonctions s’avèrent variées, p. ex. phatique (bonjour, bon appétit), euphémique (malvoyant) ou péjorative (bonasse). Aussi bien les lexèmes isolés que les unités phrastiques contenant des formants cités font généralement partie du vocabulaire courant d’importante fréquence d’emploi. Quelques dérivés et composés français ont leurs équivalents en polonais (bona, dzień dobry, dobrobyt).

MOTS-CLÉS – français, formation des mots, locutions, bon, mauvais, bien, mal, sens

Formation of “Good” and “Bad” Words in French

SUMMARY

The article is a presentation of complex formations containing the elements bon, mauvais, bien, and mal, both from a morphological and semantic points of view. The examples, taken mainly from Le Petit Robert and from the specialised website Les expressions françaises décortiqués, have been classified into derived, compound forms, expressions, and locutions. The fact of observing the modification of meaning brought about by the addition of the cited lexemes (independent or linked) constitutes the essential object of this text. The elements bon, mauvais, bien, and mal often lose their primary meaning in the word-formation process and simultaneously create formal and semantic neologisms with diverse functions, e.g., phatic (bonjour, bon appétit), euphemistic (malvoyant) or pejorative (bonasse). Both the created lexemes and the phrastic units containing the quoted formants belong mostly to the basic stock of French vocabulary with a significant frequency of use. Some French derivatives and compounds have equivalents in Polish (bona, dzień dobry, dobrobyt).

KEYWORDS – French, word formation, expressions, bon, mauvais, bien, mal, meaning

Nous nous sommes proposé de regarder le rôle des mots bon, mauvais, bien et mal dans la formation de nouvelles unités lexicales, ainsi que d’observer le fonctionnement des mots cités dans les formules figées. Nous voulions voir comment ces mots de sens nettement moral contribuent à la modification sémantique des unités lexicales appartenant à des domaines différents. Notre démarche est donc de nature formelle d’une part, et sémantique de l’autre, et touche en fait à la formation des mots au sens large.

Pour constituer notre corpus, nous avons puisé tout d’abord dans nos mémoire et connaissance du français, et des lexèmes tels que mauvaise herbe, bon mot, bien-être, bon vivant, bonheur, malheur, bienvenue, malentendu, malpropre, bonbon, bon marché nous sont venus rapidement à l’esprit. Puis, nous avons passé en revue les entrées du Petit Robert (2012) commençant par bon- , bien-, mal- et les articles bon, bien, mauvais, mal et, finalement nous avons consulté la liste des expressions accessible sur le site d’internet Les expressions françaises décortiquées[1] pour recueillir des unités plus développées et particulièrement intéressantes.

Du point de vue de la morphologie lexicale, nous classerons nos exemples d’après les procédés traditionnels de leur formation, c’est-à-dire la dérivation et la composition et nous distinguerons des structures phrastiques plus ou moins figées, notamment les expressions et les locutions.

1. Mots dérivés

Notons tout d’abord la dérivation impropre à partir des adjectifs et des adverbes évoqués. Ils fonctionnent tous alors comme des substantifs, parfois de plusieurs significations, dont le sens propre se rapporte à la morale : le bon et le mauvais, le bien et le mal. Mais il faut citer aussi le mal dans le sens de ‘douleur, maladie’ et les biens au pluriel dans le sens de ‘propriété, possession’. Le substantif féminin une bonne (selon Le Petit Robert attesté depuis 1708) vient de (femme, servante) bonne à tout faire, c’est-à-dire ‘une domestique s’occupant du ménage, du linge, de courses, etc.’ et puis bonne d’enfants ‘une gouvernante, nurse’.

Le mot bon, ayant perdu son sens primitif, apparaît dans les locutions adverbiales tout de bon ‘réellement, avec toutes les conséquences’ et pour de bon avec une acception semblable. On pourrait voir dans cet emploi de bon l’effet sémantique d’‘accompli’, de ‘définitif’.

La dérivation suffixale à partir de bon- a abouti à des formes telles que bonard, régionalisme avec le sens d’‘imbécile’, et vieilli en tant que ‘crédule, dupe’, selon Le Petit Robert (2012 : s.v.), et dans l’emploi moderne signifiant ‘beau, bon, satisfaisant’, portant ce sens positif malgré le suffixe -ard, considéré généralement comme augmentatif ou péjoratif. Une autre forme à suffixe péjoratif : bonasse a un sens gardant une teinte du mot d’origine et veut dire, toujours selon le Petit Robert (s.v.) ‘d’une bonté excessive par simplicité d’esprit, et par peur de conflits’. Notons aussi bonbonnière à partir de bonbon, lui-même composé par la réduplication de l’adjectif et devenu nom.

On trouve encore l’adverbe bonnement, souvent accompagné de tout, pour dire ‘simplement, carrément’ et où bonne- semble dire ‘nette’.

2. Mots composés

Mentionnons tout d’abord les formules courantes et banales, associant l’adjectif bon et un nom, bonjour, bonsoir, bonne nuit, bon appétit dont les équivalents dans plusieurs langues (y compris le polonais) sont construits de la même façon. Maintenant on ressent surtout leur fonction phatique, et le contenu sémantique, ainsi que leur structure s’effacent presque. Les locutions exclamatives bon courage et bonne chance expriment des souhaits lexicalisés, où le sens premier du mot courage ‘vaillance’ est peut-être moins important que celui de l’étymon : cœur, se traduisant par la conviction et l’application à la tâche. Le mot chance vient du latin cadentia, de cadere ‘tomber’ indiquant la chute de dés qui semblent décider de notre sort. Bon et bonne prennent ici dans le sens de ‘fort/forte’.

Le sens de bonhomme et de bonhommie (noté aussi avec un seul m par le Petit Robert) ne met pas en évidence le sens du composant bon, bien que le premier exemple ait signifié autrefois ‘un homme bon’, puis ‘homme simple, crédule’ pour devenir un terme affectueux nommant un petit garçon ou une désignation familière peu respectueuse pour ‘monsieur, homme’. Et n’oublions pas bonhomme de neige ! La bonhommie est définie comme ‘simplicité dans les manières unie à la bonté du cœur’.

Bon enfant devient un adjectif et prend le sens de ‘qui est facile à vivre, accommodant, sans façons’ selon Larousse en ligne[2] et il n’y est plus question du sens propre de bon. Bonne âme, bonne pâte et même bon diable désignent quelqu’un de sympathique, avenant, une personne agréable. Bon sang ! est un juron qui fait penser à un autre, déjà vieilli palsambleu où le mot sang apparaît aussi, et d’une façon euphémique fait référence au sang de Dieu[3]. Bon vent ! propice aux navigateurs, à côté d’un vœu aimable de bon voyage peut signifier aussi ‘va-t’en, casse-toi’. On peut retrouver cette expression aussi dans la question plutôt aimable Quel bon vent t’amène chez nous ?

On parle du bon cœur de quelqu’un pour suggérer son caractère vertueux. Quand on dit que quelqu’un a bon dos[4], on souligne sa responsabilité pour une faute non commise, un fardeau injuste. L’expression de bonne heure voulant dire ‘tôt le matin’ semble souligner le côté positif[5] de se lever tôt.

On trouve encore l‘adjectif composé : débonnaire ‘qui est bon jusqu’à la faiblesse’, selon le TLFi, apparaissant déjà dans la Chanson de Roland et qui avait d’abord la forme de bonne aire, voulant dire ‘de bonne souche, noble’. Le terme d’Église la Bonne Nouvelle équivaut à l’Évangile, mot emprunté au latin chrétien euangelium ‘bonne nouvelle’, particulièrement ‘bonne nouvelle de la parole du Christ’, lui-même pris au mot grec voulant dire ‘récompense, action de grâce, sacrifice offerts pour une bonne nouvelle’, et puis, au sens chrétien ‘bonne nouvelle, évangile’ (TLFi : s.v. Évangile ). Le polonais utilise aussi le même calque du terme grec Dobra Nowina pour désigner l’Évangile.

L’adjectif mauvais prend la nuance d’‘indésirable’, de ‘nuisible’ quand il qualifie le mot herbe pour désigner une plante qui n’est pas cultivée et qui s’introduit parmi les plantations intentionnelles. On parle aussi de mauvaise vie pour appeler autrefois celle de prostituées. Une femme de mauvaise vie était une périphrase qui stigmatisait sans donner la motivation d’une telle opinion. Un garçon de mauvaise vie paraît bien plus rare et le vieilli mauvais garçon signifiait un homme prompt à en venir aux coups, et surtout un homme du milieu.

Nous n’avons trouvé que peu d’emplois de mauvais faisant partie de locutions verbales. Il y a il fait mauvais, l’antonyme de il fait bon par rapport au temps (la température est agréable, il y a du soleil, etc.), où le mauvais englobe plusieurs aspects du temps que nous considérons comme défavorables : pluie, vent, temps nuageux, et ce sens du mot est loin de son acception morale. Sentir mauvais est le contraire de sentir bon et le synonyme de puer. On donne comme synonyme de sentir bon le littéraire fleurer ou embaumer. La locution se faire du mauvais sang ‘se tracasser, être anxieux’ tirerait son origine de la théorie médiévale des humeurs (sang, bile jaune, bile noire, phlegme) correspondant aux substances essentielles dont l’équilibre dans le corps humain assurerait la santé du corps et de l’esprit. La couleur foncée du sang[6], signalant « le mauvais sang » correspondrait à l’état de santé de quelqu’un.

L’adverbe bien substantivé prend le sens de ‘vertu morale’ et, au pluriel, les biens perd son sens primitif et désigne des valeurs et des objets matériels possédés par quelqu’un.

Dans les composés avec l’adverbe bien, on trouve : bien-être, bienfaisance, et on voit nettement le rôle valorisant du premier élément du composé. Le sens de bien est aussi maintenu dans bien-aimé et le composé prend une teinte de redondance, si l’on admet que le verbe aimer a un sens absolu. Mais une autre forme, malaimé prouve que la force d’aimer est graduable. D’ailleurs plusieurs composés ont leurs antonymes dont le sens repose sur l’emploi de l’adverbe préfixé : bienfaisance/malfaisance, bienséance/malséance, bienheureux/malheureux. Parfois la symétrie n’est pas totale. Malheureux est en réalité l’antonyme d’heureux, et le mot bienheureux a pris les sens spécialisés religieux de ‘(celui, celle) qui a été élu(e), qui jouit de la béatitude éternelle’ et ‘(celui, celle) qui a été béatifié(e) par l’Église, mais non (encore) canonisé(e)’ (TLFi : s.v.). Le sens primitif du composé correspond à ‘qui représente une chance très favorable, qui est signe ou promesse de bonheur’.

L’adverbe mal est devenu un substantif polysémique désignant la qualité morale, mais aussi la maladie et la douleur. Rappelons aussi le mal du siècle, concept romantique du XIXe siècle se ramenant à la mélancolie, au spleen de la jeune génération (aisée, précisons-le), et encore le mal du pays pour désigner la nostalgie de son pays natal.

Les locutions courantes avoir mal, faire mal évoquent des sensations de douleur physique, mais on évoque aussi le mal d’amour ou le mal d’aimer. On peut aussi être mal dans sa peau, c’est-à-dire déprimé, triste. Le sens du composé un malaise va d’une sensation psychique pénible, de trouble ou de gêne à une brusque faiblesse pouvant aller jusqu’à l’évanouissement.

Les composés avec mal : maladresse, maladroit ou malchance prennent le sens privatif de ‘non adresse’, ‘non adroit’, ‘non chance’. Le même aspect négatif se retrouve dans malhabile, malhonnête, malpoli, malpropre. Dans quelques composés, l’élément mal apporte une nuance sémantique qui découle de son sens moral : malintentionné, malsain, malveillant, maltraitance, malfaiteur, malmener, malverser. Ajoutons encore le nom propre Maldoror[7], connu des Chants de Maldoror de Lautréamont.

Il nous paraît aussi intéressant d’observer le procédé d’euphémisation à l’aide de l’élément mal. Quand malvoyant remplace, pour des raisons d’application du politiquement correct, le mot aveugle et malentendant le mot sourd, les termes respectifs atténuent les sens de ‘qui ne voit pas’ et de ‘qui n’entend pas’ qui sont exprimés par les mots simples de sens absolu. L’élément mal à côté des verbes dénotant l’action de voir et d’entendre modifient seulement l’étendue, la puissance de la vue et de l’ouïe.

Le nom malentendu voulant dire ‘équivoque’, ‘confusion’, ‘imbroglio’ penche après vers ‘brouille’, ‘différend’, ‘dispute’. Et à l’origine de cette relation interpersonnelle fâcheuse, si l’on suit le sens propre du mot, se trouve le fait d’avoir mal entendu un propos de quelqu’un.

Le sens d’un autre composé, malsonnant, se référant de prime abord à la réception des sons est bien plus profond. Le TLFi (s.v.) le qualifie de terme théologique, en l’expliquant comme : « Contraire à la doctrine reçue » et d’une façon plus large : « Choquant, contraire à la décence ». Ce n’est qu’en troisième position que le TLFi donne le sens littéral : « Désagréable à l’oreille, qui sonne mal ».

En observant les exemples ci-dessus, on constate facilement que bon, mauvais, bien et mal prennent des nuances variées et modifient le sens des mots qu’ils déterminent sans exprimer leur sémantisme primitif ou l’effaçant même. Étant des mots de haute fréquence d’emploi dans le lexique de base, ils contribuent largement à la formation de nouvelles unités.

3. Expressions et locutions

Les mots bon, mauvais, bien, mal font aussi partie de plusieurs expressions françaises dont nous avons parcouru la liste présentée sur un site d’internet[8] pour en choisir seulement quelques-unes.

La locution adverbiale à bonne école semble dater du XIIe siècle pour désigner un milieu formateur, instructif et école a le sens d’exemple, d’influence, de formation morale. Une autre locution ancienne (du XVIIe), avoir bon pied, bon œil, est appliquée généralement aux personnes âgées pour indiquer qu’elles marchent encore vite et qu’elles ont une bonne vue, bref cela indique leur bonne santé, leur vigueur, malgré l’âge. Mais cela veut dire aussi ‘avoir l’air vif, l’air alerte’, et c’est ce sens figuré qui a été signalé dans la première édition du Dictionnaire de l’Académie française (1694 : s.v. œil), employé pour avertir un homme de prendre garde à lui, pour ne pas être surpris par quelqu’un, pour le prévenir contre un mauvais coup. Avoir une bonne mine se rapporte aussi bien à l’aspect physique qu’à l’état de santé. Une certaine classe et le bon goût sont nommés à l’aide de l’expression bon chic bon genre, constatation succincte, prononcée avec admiration.

L’expression proverbiale à bon chat, bon rat présentant des adversaires de la même puissance quoique de qualité différente date du XVIIe siècle[9] et correspond au polonais trafiła kosa na kamień (‘la faux a rencontré une pierre’) qui suggère plutôt que quelqu’un qui se considérait comme dominant tombe sur quelqu’un de plus fort.

Dans être une bonne poire, où poire prend le sens populaire de ‘visage, tête’, bon se ramène à ‘naïf, crédule’. Le même sens est attribué à être le bon pigeon, surtout à cause du sens populaire de pigeon ‘sot, naïf, dupe’.

Une expression laudative à l’adresse de quelqu’un vient du vocabulaire de la monnaie et de l’orfèvrerie : de bon aloi. Le mot aloi désignait un alliage avec une juste proportion de métal précieux, assurant une bonne qualité. Si l’on parle d’une personne de mérite et respectée, on peut la qualifier de bon aloi. Tout comme par rapport à un objet de qualité, de bon goût. L’expression de mauvais aloi qui voulait dire le contraire de la précédente, semble, selon le commentaire apporté par les auteurs de la liste des expressions exploitée, être tombée en désuétude.

En passant aux expressions avec mauvais, parfois symétriques à celles avec bon, nous voudrions en citer une, particulièrement imagée : être de bon ou de mauvais poil pour désigner la bonne ou la mauvaise humeur, la disposition de quelqu’un, visible d’après le poil sur la peau. On peut supposer que l’image vient du comportement des animaux qui manifestent leur agressivité en dressant les poils.

La locution imagée et familière filer un mauvais coton, de par son sens, permet deux interprétations de ce « mauvais coton ». On peut l’appliquer à la situation de quelqu’un dont la santé se dégrade ou bien de quelqu’un qui est à un tournant de vie dangereux et qui risque de perdre sa fortune, sa réputation, sa probité. L’origine de cette expression remonterait à la fin du XVIIe siècle où jeter un vilain coton, par comparaison aux étoffes qui en s’usant perdaient des morceaux de fil jusqu’à la déchirure, voulait dire ‘se ruiner’. À la fin du XIXe , la même expression signifiait déjà ‘dépérir par la maladie’ et l’adjectif vilain a été remplacé par mauvais. Notons encore le proverbe la mauvaise parole et la fausse monnaie reviennent à leur propriétaire où l’adjectif mauvais prend son sens moral.

La paire bon/mauvais dans l’aspect valorisant, donc propre, revient dans plusieurs exemples : de bon ou de mauvais ton, de bonne ou de mauvaise foi, de bon ou de mauvais œil. L’absence de symétrie arrive souvent, pourtant les expressions uniquement avec bon prédominent, nous en avons déjà cité plusieurs.

L’expression adjectivale mal embouché décrit quelqu’un de mal élevé, désagréable et qui s’exprime grossièrement, ce qui motive le lien avec la bouche. Quelqu’un de mal réveillé présente un esprit confus, comme s’il était ensommeillé. Une autre expression – un ours mal léché est employée pour parler de quelqu’un de peu social, mal élevé et grossier.

Les expressions avec bon, mauvais, bien, mal se multiplient et sont fréquentes dans l’usage, il suffit de se référer aux dictionnaires spécialisés.

4. Supplément polonais

Pour compléter notre présentation, nous voudrions signaler quelques exemples du polonais qui restent en rapport avec notre corpus français. Ainsi, a-t-on en polonais dobrostan, que l’on dirait être un calque sémantique du français bien-être. Mais c’est un autre mot – dobrobyt – qui reproduit la structure du français bien-être portant une nuance plus marquée de l’aisance financière, tandis que dobrostan désigne une condition psychique.

Le polonais bona, attesté depuis la première moitié du XIXe siècle (SWil 1861 : s.v.), avait un sens restreint par rapport à l’étymon français une bonne (datant du début du XVIIIe) dans son sens premier d’‘aide à domicile’ et plus tard de ‘bonne d’enfants’. Le polonais a emprunté seulement le deuxième sens et fonctionnait comme désignation d’une femme chargée de la surveillance et de l’éducation des enfants dans les maisons aisées.

On utilise à titre de xénismes les mots français bon vivant, bon ton, bon mot (parfois prononcé à la polonaise, et même mis au pluriel : bonmoty, pouvant aussi être décliné). En polonais, l’expression dobre słowo, l’équivalent littéral de bon mot, a un sens tout à fait différent et veut dire ‘propos aimable adressé à quelqu’un, parfois une consolation, un encouragement’.

Notre contribution avait un objectif modeste et limité à la formation lexicale essentiellement par composition, avec les mots bon et mauvais de sens moral fort que l’on voit s’atténuer ou modifier au contact avec une autre unité du vocabulaire. L’observation de ce phénomène connu dans un cas précis nous a paru utile.


Autorzy

* Anna Bochnakowa, professeure émérite de linguistique romane à l’Université Jagellonne de Cracovie. Domaines de recherche : lexicologie et lexicographie françaises et polonaises, contacts de langues, histoire du français. Auteure d’une centaine de publications dont les monographies : Terminy kulinarne romańskiego pochodzenia w języku polskim do końca XVIII wieku (1984), Le « Nouveau grand dictionnaire françois, latin et polonois » et sa place dans la lexicographie polonaise (1991), « Le bon français » de la fin du XXe siècle. Chroniques du « Figaro » 1996-2000 (2005). Rédactrice scientifique et co-auteure de Wyrazy francuskiego pochodzenia we współczesnym języku polskim (2012) – étude des mots d’origine française en polonais contemporain.


Bibliographie

Dictionnaire de l’Académie française, 1694, Paris, https://artfl.atilf.fr/dictionnaires/ACADEMIE/PREMIERE/premiere.fr.html

Dictionnaire Larousse en ligne, https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais

Le Petit Robert. Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, 2012, sous la dir. de J. Rey-Debove et A. Rey, Le Robert, Paris

SWil = Słownik języka polskiego, 1861, sous la réd. d’A. Zdanowicz et al., M. Olgerbrand, Wilno

TLFi = Trésor de la langue française informatisé, http://atilf.atilf.fr/

Sitographie

Les expressions françaises décortiquées, https://www.expressio.fr/, consulté entre mars et juin 2024 et en septembre 2024

https://www.france-pittoresque.com/spip.php?article5133, consulté entre mars et juin 2024 et en septembre 2024

https://www.projet-voltaire.fr/origines/expression-se-faire-un-sang-d-encre/, consulté entre mars et juin 2024 et en septembre 2024


Notes

  1. 1 https://www.expressio.fr
  2. 2 https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/bon_enfant/10140
  3. 3 Selon le TLFi (s.v), cette interjection datant de la fin du XVIIe siècle est une altération euphémique de par le sang de Dieu (noté dans la seconde moitié du XIVe ), formule de serment devenue juron.
  4. 4 https://www.linternaute.fr/expression/langue-francaise/565/avoir-bon-dos/
  5. 5 Voir le proverbe polonais Kto rano wstaje, temu Pan Bóg daje voulant dire que les lève-tôt seront récompensés par Dieu.
  6. 6 Voir aussi la locution se faire du sang d’encre, https://www.projet-voltaire.fr/origines/expression-se-faire-unsang-d-encre/
  7. 7 M. François Nachin de l’Université de Łódź nous a suggéré l’origine possible de ce composé :
    *doror proviendrait de d’aurore ou bien de la contraction de Mal avec le mot espagnol horror (‘horreur)’. Je remercie vivement M. Nachin pour ses remarques.
  8. 8 https://www.expressio.fr/toutes-les-expressions
  9. 9 https://www.expressio.fr/toutes-les-expressions